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Vaches rwandaises
28 décembre 2007

I. Pratique de l’élevage 1. Les vaches :

I. Pratique de l’élevage

1. Les vaches : généralités

Province

Bovins (2004)

Butare

64 281

Byumba

51 601

Cyangugu

28 301

Gikongoro

49 906

Gisenyi

49 626

Gitarama

176 001

Kibungo

73 778

Kibuye

52 766

Kigali-Ngali

102 495

Ruhengeri

56 566

Umutara

301 252

TOTAL

1 006 573


            Selon les statistiques du Ministère de l’agriculture et de l’élevage rwandais (
Minagri), on compte au Rwanda un peu plus d’un million de bovins dont près d'un tiers se trouve dans la province d'Umutara, au nord-est du pays. La grande majorité des vaches rwandaises est issue de la race locale ankole mais dans certaines régions on voit apparaître un nombre croissant de vaches importées ( dites souvent "exotiques") ou issues de croisements entre une race locale et une race étrangère ( dites souvent "améliorées") et produisant beaucoup plus de lait.

            Le nom ankole est celui d'une région du sud de l'Ouganda (donc voisine de l'Umutara) dont les vaches seraient originaires. Le climat sec de l'Umutara est semblable à celui de l'Ankole et les vaches ankole y sont particulièrement bien adaptées. En revanche les nouvelles races importées le supportent mal et leur élevage dans ces régions, en stabulation ou en semi-stabulation, requiert des coûts élevés (eau, fourrage, soins médicaux). Bien que le Rwanda soit situé à 2° de latitude au sud de l'équateur, son altitude explique qu'il n'y fasse pas excessivement chaud et certaines régions du Rwanda accueillent plus aisément que d'autres les nouvelles races. C'est le cas, entre autres, des régions de Kibuye et de Gishwati, dont l'herbe demeure verte quand celle de l'Umutara est jaunie depuis plusieurs mois.





            
2. Les propriétaires

Qui sont-ils? 

            Une idée communément admise dans les livres sur le Rwanda est que la distinction ethnique correspond à une division agricole : les éleveurs seraient Tutsis et les cultivateurs Hutus. Une telle représentation n'est sans doute pas sans fondement.

            Au Rwanda, la vache est un objet de prestige, un signe de respectabilité et la garantie d'une stabilité sociale. Il s'ensuit naturellement que chaque personne au Rwanda qui a les moyens d'acquérir des vaches s'en procure rapidement. Les familles traditionnellement riches possèdent des vaches depuis des siècles et ceux qui s'enrichissent, par exemple grâce au commerce, en font l'acquisition. De l'Umutara à Butare en passant par Ruhengeri, il est rare d'être riche sans posséder de vache.

            Dans le Rwanda précolonial et colonial, les riches étaient en majorité des Tutsis et les possesseurs de vaches étaient par conséquent plus nombreux au sein de cette ethnie. Il a été établi que la notion d'ethnie au Rwanda n'existait pas en tant que tel avant la colonisation belge et que les critères à l'aide desquels on a déterminé l'ethnie des habitants étaient souvent variables selon les régions. La distinction ethnique a néanmoins été intériorisée au fil du temps par les Rwandais et demeure encore aujourd'hui. Mais la séparation entre Tutsis-éleveurs et Hutus-cultivateurs est-elle encore pertinente ? Nombre de Rwandais disent que non, mais comme il n'est pas possible de connaître l'ethnie d'un homme autrement qu'en la lui demandant de telles affirmations sont difficiles à vérifier. Depuis la chute de la monarchie tutsie, la victoire des partis hutus aux élections législatives de 1961, et l'indépendance, les rapports de richesse ont été nuancés. On peut imaginer qu'en presque quarante ans de pouvoir hutu il a pu exister de nombreux riches hutus, qui ne se sont pas privés d'acquérir des vaches.

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Propriétaires, vachers et vétérinaire à Gishwati

Combien de vaches ?

            Dans l'Umutara, les éleveurs possèdent entre 10 et 200 vaches, mais selon le Minagri (Ministère de l'agriculture), dans le reste du pays, chaque propriétaire possède deux à trois têtes de bétail. Il est cependant très difficile d'évaluer le nombre de vaches que possède un propriétaire parce que lui-même se refuse à le dire. Certains disent que si un propriétaire déclare 12 vaches, c'est qu'il en possède au moins 100. Mais de toute façon le propriétaire ne dit jamais qu'il a douze vaches, il dit "environ douze".

            Ce refus du dénombrement est une habitude qui a existé en d'autres lieux et à d'autres époques : il peut avoir pour but de contourner la fiscalité ou bien être lié à une superstition (ainsi ne dit-on pas le nombre de ses enfants pour éviter que la mort ou les mauvais esprit puissent les identifier). Cette réalité complique le travail des recenseurs, mais aussi des vétérinaires et des coopératives laitières.


Le propriétaire s'occupe-t-il de ses vaches? 

            Un gros propriétaire ne peut s'occuper seul de ses 150 vaches. Il paie alors des employés pour prendre soin de ses troupeaux à sa place. Mais cette pratique concerne aussi les petits propriétaires : un homme qui a fait carrière et s'est procuré quelques vaches après-coup préfère souvent prendre un employé plutôt que négliger son travail ou empêcher ses enfants d'aller à l'école afin de s'occuper de l'animal.

            Le fait que la propriété des troupeaux soit souvent familiale n'implique pas que la famille s'occupe directement des animaux. Des vachers de Gishwati n'avaient pas vu le propriétaire de leur troupeau depuis plus d'un an. Ce propriétaire vit à Ruhengeri mais son petit frère, qui habite Gisenyi, vient plus souvent. Lorsqu'il vient, il contrôle le bon état du troupeau, recueille les profits de la vente du lait et donne leur salaire aux vachers.

             Cependant, la plupart des petits propriétaires ruraux sont très attachés à leur animal et engagent rarement quelqu'un d'autre pour s'en occuper. Ils se font alors aider par leur femme et surtout par leurs enfants. Mais une vache a besoin de multiples soins : dès lors que le nombre dépasse l'unité, comment s'en occuper? Théoneste, un clerc des environs de Nyamata, possédait quatre vaches, sans toutefois posséder les terrains nécessaires à leur pâture. Ses enfants l'aidaient à s'en occuper, mais il avait surtout employé un jeune homme de vingt ans qui menait les animaux à l'abreuvoir, achetait et transportait le fourrage et s'occupait de la traite matin et soir.

            Chacun veut avoir des vaches, mais tous ne veulent pas s'en occuper. La condition paysanne fait parfois l'objet d'un certain mépris parmi les populations urbaines. Etrangement, cela n'ôte rien au prestige des vaches : ainsi Raymond, étudiant à l'Université Nationale de Butare, déclarait-il avoir envie de posséder des vaches, mais "pas pour vivre avec".


          
3. Les vachers

La fonction des vachers 

            Les vachers assurent toutes les fonctions nécessaires à l'élevage bovin : ils rassemblent les animaux, les soignent, les conduisent dans les pâturages les plus verts, les amènent à l'abreuvoir. Pour les protéger contre les voleurs, ils sont souvent aidés d'un chien. A Gishwati, il y a environ trois gardiens pour un troupeau de 60 vaches.

            La journée des vachers s'organise selon un emploi du temps que le linguiste Edouard Gasarabwe restitue à partir des dénominations des divers moments :

            - Munkoko : le chant du coq (1ère heure)

            - Entre 6h et 7h : traite du matin

            - Kugasusuruko : le réchauffement (vers 9h)

            - Mumashoka : le temps de l'abreuvoir (vers 12h)

            - Inka zikuka : les vaches quittent l'abreuvoir et vont paître

            - Vers 15h : traite du soir

            - Inyana zitaha : les veaux rentrent

            - Kiberinka : le soleil des vaches

            - Mumataha : les vaches rentrent (vers 19h)

            Quand vient l'heure de la traite, on fait venir un veau pour que la vache fasse descendre son lait dans son pis. Après avoir chassé le veau à coups de bâton, le trayeur attache les pattes postérieures de la vache avec une corde, s'accroupit et trait la vache en recueillant le lait dans un seau. Dans les fermes de l'ISAR (Institut des Sciences Agronomiques du Rwanda) et du Minadef (Ministère de la Défense) à Songa, on donne également du son de riz aux vaches pour déclencher la lactation.

106_Veau_trahi___l_ISAR_Songa

Veau à l’heure de la traite à Songa


La vie des vachers

            Un vacher passe la majeure partie de sa vie dans les pâturages. Si ces derniers ne sont pas à proximité de son habitation, il vit dans une hutte en torchis et ne retourne pas plus d'une fois par semaine dans son foyer, où vivent sa femme et ses enfants.

            Un certain vacher de Gishwati est originaire du Congo. C'est là-bas, près de Massissi, qu'il a commencé à garder les vaches. Il avait 14 ans et il n'a pas cessé jusqu'à aujourd'hui. Lorsque le propriétaire est parti avec ses vaches pour Rucyuru, toujours au Congo, il l'a suivi. Et lorsqu'il est parti pour Gishwati, il l'a encore suivi. Les vaches sont venues à pied. Parfois on les emmène en bateau, par le lac Kivu.

            Le salaire d'un vacher augmente avec son expérience. En fin de carrière, à Gishwati, il gagne environ 10 000 Frw (15€) par mois. Souvent les enfants font le même métier que leurs parents, mais ce n'est pas obligatoire. De plus en plus, les enfants vont à l'école et leur père leur laisse le choix de leur avenir.

136_Habitation_de_vacher

Habitation de vachers à Gishwati

4. Les soins donnés aux vaches

La nourriture

Une vache a besoin d'être nourrie. Dans les pâturages de Gishwati ou d'Umutara, la nourriture des vaches ne pose pas directement problème : le vacher mène les vaches aux pâturages et elles se nourrissent toutes seules. Mais le Rwanda est un pays surpeuplé et bien des propriétaires de vaches ne disposent pas des surfaces nécessaires pour nourrir leurs vaches. Souvent, ils ne disposent d'aucun pâturage propre et font alors paître leurs animaux sur les terres communes, c'est-à-dire le bord des routes. S'il s'y trouve un peu d'herbe, il n'est pas rare de voir une vache paître en pleine ville.

L'autre solution consiste à acheter du fourrage. Depuis plusieurs années l'ISAR (Institut des Sciences Agronomiques du Rwanda) développe des solutions destinées à alimenter les élevages en stabulation. Ces cultures sont assez développées dans la région de Rwamagana, où l'on peut voir au bord des routes de grandes herbes vertes destinées à être coupées puis conservées par fanage, mais sont encore assez rares dans l'Umutara. On tente aussi de développer la culture d'arbustes fourragers qui, eux aussi, nourrissent mieux les vaches et augmentent la production laitière.

Pour les vaches locales ankole, ces fourrages sont le moyen d'augmenter la production de lait, mais pour les vaches exotiques ou améliorées, ils sont vitaux. Le climat aride et l'herbe sèche de l'Umutara, que les vaches ankole supportent bien, ne permettent même pas aux exotiques de survivre.  Les vaches exotiques et améliorées (frisonne, jersey, sahiwal) sont plus grandes, donnent plus de lait mais elles mangent plus, boivent plus et requièrent plus de soins. Ainsi, selon un responsable de la ferme du Minadef, les sahiwal sont beaucoup plus agressives et agitées que les ankole et elles demandent une attention permanente.


La santé des vaches

Les soins sont aussi médicaux. Toutes les vaches ont besoin du contrôle régulier d'un vétérinaire, mais cette fois encore les exotiques et améliorées sont plus fragiles. Les frisonnes du Minadef produisent jusqu'à 25 litres de lait par jour, mais elles tombent plus souvent malades et ont plus souvent besoin de médicaments. Selon le responsable, le prix des médicaments pour les animaux est beaucoup plus élevé au Rwanda qu'en Europe. Les frisonnes tiennent le coup, mais au premier semestre de l'année 2004 plusieurs sont mortes d'une maladie indéterminée.

L'une des grandes difficultés de l'élevage bovin est l'existence des tiques. Autrefois, dans l'Umutara, on pratiquait le détiquage à la main, parfois avec l'aide d'un produit traditionnel. Aujourd'hui, on utilise un produit spécial (acaricide) qu'on applique plus ou moins régulièrement, environ deux fois par semaine. A Gishwati, le détiquage ne se fait qu'une fois toutes les deux semaines parce qu'il y a peu de tiques dans la région.

Un éleveur de l'Umutara raconte qu'autrefois, le soir, on préparait le lit pour les vaches, avec de la paille. C'était un cérémonial immuable auquel participait toute la famille. Mais aujourd'hui, les enfants vont à l'école et le père ne peut s'occuper de ces tâches tout seul, alors on ne fait plus le lit. L'hygiène requiert également des dépenses supplémentaires. Autrefois, on utilisait l'urine des vaches pour nettoyer les ustensiles de traite, aujourd'hui on emploie des produits spéciaux qu'il faut acheter.

 
         
5. Les noms des vaches : amazina y'inka

Noms communs

Pour décrire les vaches, la langue kinyarwanda dispose d'un vocabulaire riche et précis. En 1930, le père Delmas recense à la cour du mwami quatre grandes espèces de vaches :

- les inyambo sont réservées au mwami. Ce sont des vaches de grande taille, de couleur rouge. Elle sont sélectionnées et possèdent des cornes immenses et blanches.

- les ibigarama sont des vaches fortes, solides, avec des cornes de taille respectable. Elles sont appréciées des chefs.

- les inkungu n'ont pas de cornes mais sont aussi fortes que les ibigarama 

- les inkuku sont des bêtes de taille moyenne, pour les gens du commun.

Cette typologie est probablement à nuancer. Tout d'abord, elle date de 1930 et n'est plus très valable aujourd'hui. Ensuite ceux que le père Delmas appelle "gens du commun" sont déjà des gens assez riches puisqu'ils possèdent des vaches. Enfin, cette typologie ignore les critères autres que les cornes. Or la beauté de la vache est une élégance d'ensemble pour laquelle les cornes ont une grande importance mais ne constituent pas l'unique critère.

Au marché de Mbare dans l'Umutara, à une douzaine de kilomètres de Nyagatare, des marchands de vaches ont donné quelques exemples :

- rutare : une vache blanche

- ruhugo : une vache rouge (marron)

- rugondo : une vache rouge tachetée de rouge

- kibamba : une vache noir et blanche

- mukare : un taureau noir

- ruhara : une génisse noire

- inkungu : pas de cornes

- intendere : les cornes sont dirigées vers le bas

Ces dénominations diffèrent-elles de ce qui existe en français pour les vaches et les chevaux (bai, aubère, alezan)? Le système est le même mais le français ne dispose pas, à ma connaissance, de mots courants pour distinguer la couleur d'un mâle et d'une femelle, ou pour décrire la forme des cornes.


Noms propres

            L'une des spécificités de l'élevage bovin au Rwanda est de donner des noms aux vaches. Dans un troupeau, chaque vache a son nom ; on l'appelle par son nom et elle répond à l'appel. On utilise également son nom quand on lui parle ou dans la poésie pastorale. Edouard Gasarabwe, dans son ouvrage Parlons Kinyarwanda-Kirundi, donne quelques exemples de noms de vaches :

            - Ingoro y'umwogabyano : Palais de la beauté

            - Inshongore : L'Elégante

            - Inyubahiro : La Vénérable

            - Mirindi : Pas Cadencés

            - Rwiyamilira : La Déclamatrice

            - Rukaruruka : La Tonitruante


            - Rumenerangabo : La Casseuse des boucliers ennemis

            - Rwabizamphunzi : Celle qui fait mugir les fuyards

            - Mukuru w'inkuba : Fille aînée de la foudre

            Les veaux et les bœufs n'ont pas de nom. Seuls sont dignes d'être "nommés" le taureau confirmé et la génisse primipare. C'est lorsque la vache met bas que le vacher lui donne son nom. Il choisit le nom en fonction des qualités particulières de la vache, mais aussi de sa généalogie. On en trouve des exemples à Gishwati où une mère s'appelle Ruhirwa. Sa fille, en souvenir d'elle, a été nommée Rudahunga. Dans un autre paddock, l'une s'appelle Indekwe (bouclier) et sa fille Rukaragandekwe (celle qui sait manier le bouclier).se

048_Jeune_vacher_d_Elys_e

Garçon vacher de l'Umutara

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