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Vaches rwandaises
28 décembre 2007

II. La valeur des vaches 1. La valeur économique

II. La valeur des vaches


            
1. La valeur économique

Le prix d'une vache

            Dans le Rwanda ancien, une belle vache pouvait valoir jusqu'à 15 000 bracelets ubutega. Aujourd'hui, le prix peut aller jusqu'à 1 000 000 Frw (1 500 €) pour une vache exotique mais ne dépasse pas les 200 000 Frw (300 €) pour la plus belle des ankole.

            Une telle disproportion est due au fait que le prix dépend largement de la production laitière d'une vache : une ankole donne environ cinq fois moins de lait qu'une vache exotique.


L'élevage est-il rentable?

            Les vaches ankole sont peu coûteuses mais donnent peu de lait. Les vaches exotiques ou améliorées donnent plus de lait mais coûtent très cher. Le caractère rentable ou pas de l'élevage bovin rwandais est l'objet d'opinions contradictoires.

            Selon le Minagri la vache a une grande valeur à cause de son lait : le lait est un aliment de luxe qui suffit presque à nourrir un homme. C'est d'ailleurs la production laitière qui est privilégie aux dépens de la viande dont l'importance est très secondaire. Le lait se vend cher et même si l'élevage coûte cher le propriétaire s'y retrouve toujours. La vache est un élément de prestige mais aussi de stabilité sociale : si quelque problème survient, on peut toujours vendre une vache.

Le fils d'un propriétaire de vaches de la région de Nyamata conteste cette assertion. Selon lui les vaches coûtent beaucoup de temps, d'énergie et d'argent. Son père ("le vieux") est un négociant important de Kigali mais possède une ferme à 30km au sud de Kigali, sur les rives du fleuve Nyabarongo, où il élève des vaches améliorées. Souvent on l'appelle parce qu'une de ses vaches ne va pas bien ; il quitte alors toutes ses affaires pour se rendre dans sa ferme. L'élevage est un gouffre financier mais "le vieux" y est très attaché pour des raisons sentimentales.

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Vaches attroupées pour la traite à Gishwati


         
2. La vache comme volonté et comme représentation

Une valeur affective caduque?

                        Lorsque les Rwandais parlent du lien affectif qui lie un éleveur et sa vache, ils sont souvent enthousiastes mais ils semblent également penser que ce lien est à peu près mort aujourd'hui, tué par le goût pour la productivité.

                        Lorsque les Rwandais parlent du lien affectif qui lie un éleveur et sa vache, leur propos oscille entre l'enthousiasme et le regret. Selon M. Zimulinda, vétérinaire à Nyagatare, il existait autrefois un grand lien entre la vache et l'éleveur, un "grand signe d'amour" qui dépassait la valeur économique de la vache. Est-ce à dire qu'il n'en est plus de même aujourd'hui?

Les éleveurs reconnaissent que la production laitière est importante. En a-t-il jamais été autrement? Il semble que les éleveurs d'aujourd'hui parviennent assez bien à concilier les considérations esthétiques avec les exigences de production. Les vachers de Gishwati expliquent que leur préférence pour telle ou telle vache à l'intérieur d'un troupeau correspond à plusieurs critères à la fois : la fertilité d'une vache, sa production laitière, mais aussi et surtout son comportement général. Les qualités d'une bonne vache peuvent être son obéissance, sa douceur, ses "bonnes mœurs", son aptitude à s'adapter aux conditions climatiques et alimentaires, mais aussi sa capacité à guider les autres. L'un des grands avantages des
ankole sur les vaches exotiques ou améliorées est qu'en cas de guerre, si l'on est obligé de fuir, on peut prendre ses vaches avec soi sur la route. Des vaches améliorées ne supporteraient pas le voyage et mourraient.

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Troupeau d’ankole dans l’Umutara



La mort de la vache

En général, une vache ne meurt pas : quand elle cesse de donner assez de lait, c'est-à-dire à l'âge de 12 ou 13 ans, elle est abattue et vendue à la boucherie. C'est le principe de la vache de réforme qui prévaut également en Europe.

Comme en Europe, la législation rwandaise interdit de livrer à la consommation les animaux morts naturellement. Selon le fils de l'éleveur de Nyamata, si la vache est morte d'une maladie contagieuse, on la brûle complètement jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des cendres. Dans les autres cas on l'enfoui, mais il existe toujours le risque que les paysans aillent la déterrer. "Peut-être que beaucoup de paysans sont morts après avoir mangé la viande d'une vache malade enterrée", ajoute-t-il.

            Le docteur Alphonse, directeur de l'élevage au Minagri, souligne la difficulté d'abattre les troupeaux lorsque surviennent des épidémies. En juin 2004, dans la région de Butare (province du sud), une épidémie de fièvre aphteuse a posé beaucoup de problèmes : les élevages ont été mis en quarantaine, on a pris des mesures sanitaires supplémentaires, mais on n'a pas pu abattre les troupeaux. Quand une vache meurt, l'éleveur et sa famille sont malheureux, et pas seulement à cause de l'argent. Les Congolais, mauvaises langues, disent que quand une vache meurt le Rwandais pleure plus que quand une personne meurt.

            3. La beauté de la vache

Les cornes

            Les livres que les Européens ont écrits à propos du Rwanda s'accordent pour dire que la beauté d'une vache dépend surtout de ses cornes. Selon les Rwandais, les cornes participent surtout d'une élégance générale. Elles ne sont qu'un élément parmi d'autres.

            Les livres européens disent également que pour recevoir la préférence des Rwandais les cornes d'une vache doivent être grandes et en forme de croissants de lune. Là encore, les choses ne sont pas aussi simples. Un pasteur pentecôtiste du marché au bétail de Mbare explique que cela dépend des goûts, des préférences personnelles : comme pour les femmes, chacun a ses préférences. Il reconnaît cependant qu'eux préfèrent les cornes en croissants de lune.  De qui parle-t-il? Des Rwandais? Des marchands de l'Umutara? De lui et de ses amis? Interrogé sur les raisons de leur préférence, il répond : "C'est notre culture". Un vacher de Gishwati dit que "les vaches sans cornes sont à la mode, même si anciennement les cornes étaient appréciées". Lui aime les cornes, mais pas trop grandes, et plutôt dirigées vers l'extérieur.

            Si on accorde aux cornes une importance particulière, c'est sans doute d'abord pour deux raisons. Non seulement leur taille et leur forme variables en font un élément fort de diversité bovine, mais elles occupent une place particulière dans le corps de la vache : au dessus de leur visage, comme une couronne, d'une matière et d'une couleur différente du reste de l'animal, elles ont quelque chose d'incongru qui fait qu'on les remarque plus. Jack, un enfant de Nyagatare, donne une autre explication. Interrogé sur l'utilité des cornes, il répond : "pour se battre". Les vaches ankole ne semblent pas particulièrement enclines à se battre : les vachers qui se sont occupés de vaches exotiques ou améliorées louent le caractère serein et paisible de la race locale et mêmes les concours bovins du Rwanda ancien semblent avoir été composés d'épreuves de beauté et de poésie pastorale plutôt que de combats de taureaux. On peut néanmoins penser au symbole de puissance virile que peuvent représenter les longues cornes d'une vache.

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Vache de l’Umutara

   
            Les inyambo

            Dans le Rwanda des bami (rois), les Inyambo étaient des vaches réservées au roi, sélectionnées pour leurs cornes particulièrement gigantesques. Les avis divergent lorsqu'il s'agit de dire si elles existent toujours ou non. Pour M. Zimulinda, le pouvoir hutu en place depuis 1961 a cherché à les éliminer pour effacer de la culture Rwandaise une trace gênante du prestige des bami et les dernières inyambo ont été tuées lors du génocide de 1994. D'autres – peut-être simplement parce qu'ils assimilent les inyambo à des vaches pourvues de très grandes cornes – disent qu'il en reste encore en Ouganda et en à certains endroits du Rwanda, à Butare ou dans le Bugesera.

            Des photographies de l'époque coloniale montrent que les inyambo possédaient effectivement des cornes gigantesques. Elles avaient fait l'objet pendant plusieurs siècles d'une sélection eugéniste et les dernières ployaient la tête sous le poids de leurs cornes. Mais dans le domaine de la longueur des cornes, certaines vaches de l'Umutara semblent en mesure de soutenir la comparaison.

            Dans le cas des inyambo, c'est réellement la taille et la forme des cornes qui prime. Bien sûr les inyambo sont grandes, fortes et bien nourries, mais leur production laitière n'entre pas en ligne de compte puisque boire leur lait était interdit. Selon la légende, les inyambo vivaient autrefois dans un royaume du nord, dans l'actuel Ouganda.  Le jour où, en buvant leur lait, le roi de ce pays mourut subitement, on les chassa du royaume. Elles accomplirent alors un long périple et à chaque fois qu'elles s'arrêtaient dans un pays, leur lait en tuait le roi. Le mwami du Rwanda avait eu vent de ce désastre et lorsque les inyambo parvinrent dans son royaume, il les accueillit avec bienveillance mais jura de ne jamais boire leur lait.


Inka nziza : "Une élégance d'ensemble"

            Outre les cornes, la beauté de la vache peut être analysée selon plusieurs critères. Tout d'abord, on préfèrera souvent une vache grasse et bien nourrie à une vache dont les côtes sont apparentes. C'est aussi pour cette raison que les vaches se vendent plus cher pendant la saison des pluies que pendant la saison sèche, "saison de vache maigre".

            La couleur de la robe est également importante mais sur ce point chacun peut avoir sa préférence. A Mbare par exemple, un jeune marchand de vaches disait aimer surtout les vaches noires (umukara et ruhara) tandis que son collègue et ami, Jean-Claude, préférait les rouges (ibihogo).

            L'élégance d'une vache tient aussi à son allure lorsqu'elle avance : une démarche noble et altière peut être particulièrement appréciée. Selon Paulin et Raymond, étudiants à Butare, un garçon peut faire un compliment à une jeune fille en lui disant qu'elle marche comme une belle vache. Il peut aussi lui dire qu'elle a le regard ou la fierté d'une vache.


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