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Vaches rwandaises
28 décembre 2007

III. La vache et dix millions de Rwandais Si les

III. La vache et dix millions de Rwandais

            Si les vaches possèdent une grande valeur affective et économique pour ceux qui les possèdent et pour ceux qui s'en occupent, elles s'imposent également à l'ensemble de la population rwandaise par leur présence, fugitive ou écrasante, à tous les niveaux de la culture nationale.

 
         
1. Les bovins en kinyarwanda

Le langage courant

            La langue kinyarwanda abonde en expressions faisant intervenir les bovins. C'est aussi le cas en français ("mettre la charrue avant les bœufs", "qui vole un bœuf vole un bœuf") mais en kinyarwanda la vache est présente dans des expressions de politesse presque courantes. Une salutation traditionnelle est "Amashyo". Le mot amashyo est le pluriel de ishyo qui signifie "troupeau". Celui qui dit amashyo souhaite à son interlocuteur "beaucoup de troupeaux". Il se voit répondre "Amashyo n'gore", c'est-à-dire "Beaucoup de troupeaux avec des femelles". Du taureau et de la vache, c'est la femelle qui est la plus appréciée parce qu'elle peut mettre bas et qu'elle donne du lait. L'ISAR tente de mettre en place un système de sélection des embryons avant insémination artificielle qui permettrait de donner naissance à plus de génisses que de veaux.

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Vache « intendere » à Nyagatare



Les proverbes

Outre les expressions courantes, le kinyarwanda dispose d'une grande quantité de proverbes et de dictons qui mettent en scène les vaches et dont Jean-Népomuscène Nkurikiyimfura donné une centaine d'exemples :

- Uhanuza cyane ugakenesha nyirinka = quand tu demandes trop sur un troupeau, tu éveilles les soupçons du propriétaire.

- Amata ukamiye umugore uba uyamennye = Le lait que tu trais pour une femme, c'est comme si tu le versais par terre.

- Imana ikunanurira ita kweretse ilebe = Dieu te fournit du lait sans te montrer son pis.

- Aho imfizi irindirije nihoyimiriza = Quand le taureau veut saillir une vache, il le fait sans attendre.

            

2. La dot : inkwano

La pratique de la dot

Contrairement à la tradition française, où c'était le père de la jeune fille qui devait fournir la dot au jeune couple, ce que les Rwandais appellent inkwano est un cadeau que le jeune homme doit faire aux parents de sa promise. S'agit-il d'acheter la jeune fille à sa famille ? En réalité, il semble que la dot ne soit pas obligatoire : selon M. Bushayija-Bugabo elle est un symbole de la validation de la patrilinéarité. Si l'homme n'a pas versé la dot à sa belle famille et que les époux se séparent, les enfants reviendront à la femme et à sa famille. Si au contraire il a donné la dot, il pourra garder ses enfants. Ne s'agit-il pas alors d'acheter ses enfants?

Dans la pratique, les choses sont plus compliquées, moins schématiques. Ainsi, alors qu'il arrive souvent que le jeune homme ne fournisse pas la dot le jour du mariage mais quelques années plus tard, dans la région de Ruhengeri, la dot est obligatoire et elle est souvent d'une grande valeur. Les Rwandais des autres régions disent qu'à Ruhengeri on achète véritablement la jeune fille et que pour ses parents l'inkwano est le remboursement de tout ce qu'a coûté la jeune fille depuis son enfance : nourriture, soins, éducation, instruction, etc.


Une vache comme dot

            Donner en dot une ou plusieurs vaches est, encore aujourd'hui, une pratique très courante et si l'homme ne donne pas une vache mais de l'argent, on dit quand même que c'est une vache. Or les cérémonies de mariage au Rwanda peuvent durer plusieurs semaines et elles multiplient les discours prononcés par les personnages importants des deux familles. Dans ces discours, lorsque le locuteur parle de la dot, il parle toujours de vaches, si bien que les vaches tiennent une place très importante pendant toute la durée des cérémonies. De telles pratiques valent surtout pour les familles aisées. La majorité des Rwandais ne possède pas de vache et n'est pas en mesure de fournir une dot de ce prix.

            En général, la vache donnée en inkwano est une femelle. Son premier-né sera offert par les parents de la mariée au jeune couple. Cela montre que la valeur symbolique du cadeau prime la valeur économique. En effet, une vache offerte est considérée par beaucoup comme un lien éternel entre deux familles ou deux amis.


La vache comme cadeau

Selon M. Zimulinda, la vache est aussi un puissant signe d'amitié. Si un Rwandais veut faire un cadeau à un ami, une vache de 5000 Frw sera plus appréciée qu'une voiture de 10 000 000 Frw. De même, quelqu'un qui veut montrer son amitié offrira toujours une vache ; et lorsque un éleveur a perdu ses animaux, son entourage s'associe pour l'aider à reconstituer son troupeau.

            

3. Les interdits : imiziro 

L'élevage bovin et la consommation de ses produits respectent un grand nombre de coutumes. Parfois ces coutumes ont pour but la répartition équilibrée des tâches au sein du ménage, parfois elles répondent à des préoccupations hygiénistes ou à des logiques économiques. Mais il arrive aussi que la signification exacte ait été oubliée mais que la pratique subsiste.


Le nombre de vaches

L'une de ces coutumes est problématique parce qu'elle s'oppose au recensement des bêtes et constitue parfois un obstacle aux soins vétérinaires : il s'agit de l'habitude de ne pas dire le nombre de vaches que l'on possède. Même un petit éleveur ne dit jamais "J'ai cinq vaches" mais "J'en ai environ trois". Edouard Gasarabwe explique dans son livre que les Rwandais ont coutume de ne jamais dire tout haut combien d'enfants ils possèdent parce que cela risque d'attirer les mauvais esprits sur les enfants. On peut imaginer qu'il en soit de même pour le bétail. Selon le directeur de l'élevage au Minagri, une telle tradition répond à une préoccupation beaucoup moins spirituelle : l'impôt.  Entre 1962 et 1994 le pouvoir cherchait à limiter et à décourager l'élevage bovin et avait fixé des taxes importantes. L'impôt sur le bétail n'existe plus depuis cinq ans mais les éleveurs craignent toujours qu'il soit rétabli. Il existe en outre d'autres circonstances où l'on paie en fonction du nombre de vaches, notamment la location d'une place au marché.

070_Daltons

Environ trois vaches dans l’Umutara





Les interdits alimentaires

La consommation du lait de vache va de pair avec le respect d'un grand nombre de règles qui contribuent à donner au lait un caractère sacré.

Boire du lait en même temps qu'on mange de la viande risque d'affecter les vaches et de réduire leur production laitière. De la même façon, boire du lait après avoir mangé du poisson risque d'exterminer les vaches. Il est possible que cette coutume soit l'expression de préoccupations hygiénistes et on note qu'elle rappelle fortement à la loi de l'Ancien Testament qui recommande de ne pas faire cuire l'agneau dans le lait de sa mère.

            On ne boit pas du lait debout et on ne refuse jamais du lait offert. Ici, il s'agit sans doute simplement d'une marque de respect vis-à-vis de l'amitié que témoigne celui qui offre le lait.

            Dans le Rwanda ancien, il existait d'autres coutumes plus localisées. Dans le clan Basinga par exemple, il était interdit de posséder une vache dont la robe ne fût pas monochrome.

            D'autres interdits concernent particulièrement les femmes mariées. Celles-ci n'ont pas le droit de traire ni de baratter dans l'obscurité. Ces règles peuvent peut-être s'expliquer métaphoriquement par une interdiction faite à la femme de s'approprier des caractéristiques de leur mari.

073_Jeune_fille_et_vache_blanche

Jeune fille posant à côté d’une vache à Nyagatare



            
4. Les femmes et les vaches

            Jusqu'en 1994, il était assez rare que des femmes possédassent des vaches et s'en occupent elles-mêmes. Mais le génocide de 1994 a surtout touché les hommes et de nombreuses veuves se sont vues obligées de poursuivre l'élevage sans leur mari. Pélagie, étudiante en troisième année à l'Université de Goma au Congo, explique que souvent, si un homme meurt, sa femme préfère vendre les vaches pour acheter des chèvres. Il est très fatigant d'élever une vache : elle a besoin de soins, de nourriture et il faut être capable de la mener au bâton et de la rattraper si elle cherche à s'enfuir. On peut toujours attacher une chèvre à un arbre pour qu'elle broute l'herbe autour d'elle, mais on ne peut pas laisser une vache sans surveillance.

            C'est également pour ce type de raisons qu'à l'intérieur d'un ménage rwandais la femme ne participe pas à l'élevage proprement dit. Au lieu de cela, elle s'occupe des travaux de la maison et tient un grand rôle dans la transformation et la vente des produits de l'élevage. Tandis que l'homme trait, garde les vaches, enlève les tiques et mène les vaches à l'abreuvoir la femme baratte le lait pour faire du beurre, elle vend le lait ou le sert : la qualité du lait offert par une femme à un homme peut indiquer ses dispositions à son égard. Cette répartition des tâches est illustrée par la cérémonie de mariage, à l'occasion de laquelle on donne une lance à l'homme et une baratte à la femme.

            Les jeunes filles peuvent traire les vaches, mais dès qu'elles sont mariées cela leur est interdit. Dans le Rwanda ancien, il existait un rite de préparation au mariage nommé gukama (traire) pendant lequel la femme disait "imyaka igihumbi ntakama" ("Mille ans sans que je traie"). Aujourd'hui encore, boire le lait tiré par une femme est dangereux, sale. Cependant, ces coutumes se font plus faibles et tendent à disparaître.


            
5. La religion et les vaches

Vaches rwandaises et vaches indiennes

On serait tenté de rapprocher le respect dont les vaches bénéficient au Rwanda de la vénération dont elles font l'objet dans des pays comme l'Inde. Mais si la vache rwandaise est très respectée, elle n'est en aucun cas sacrée. Les Rwandais disent que les Indiens "exagèrent un peu" ; eux ne se privent pas pour frapper leurs vaches à coup de bâton parfois plus que de raison.

Le respect des Rwandais pour les vaches est présenté comme naturel et modéré : "Quelque chose qui peut faire vivre un enfant aussi bien que sa mère, il faut le respecter comme une mère". Les Congolais se moquent souvent de l'attachement puéril des Rwandais à des bovins. De manière étonnante, il semble qu'on ne trouve dans les traditions du Rwanda ancien aucune divinisation de la vache comme on a pu en constater en Inde ou en Egypte. Hathor, la déesse-vache du panthéon égyptien, porte le disque solaire entre deux larges cornes qui ne sont pas sans rappeler celles des ankole du Rwanda. Certains disent d'ailleurs que les vaches ankole seraient venues d'Egypte et une théorie linguistique affirme que le vocable kinyarwanda inka (vache) serait venu de Perse en passant par l'Egypte.


Le christianisme et les vaches

            L'absence de divinités bovines au Rwanda a permis à l'élevage bovin de survivre à l'implantation du christianisme. Les missionnaires du début du XXe siècle ne semblent pas avoir considéré l'amour des Rwandais pour leurs vaches comme un danger pour l'amour qu'ils devaient porter à Dieu et à leur prochain. Il existait tout de même dans le Rwanda ancien des fêtes et des cérémonies où les vaches étaient très présentes. Mais si ces fêtes ont été rapidement supprimées, c'est moins à cause des vaches que parce qu'elles s'accompagnaient de pratiques sexuelles contraires au dogme chrétien.

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Vache broutant l’herbe sèche de l’Umutara



            
6. La poésie pastorale 

Les chants des vachers

Avant 1895, la "découverte" du Rwanda par le comte Gustav Adolf von Götzen et la colonisation par les Allemands, l'écriture n'était pas utilisée au Rwanda. Le Rwanda ancien connaissait une forme de littérature orale singulière connue sous le nom de poésie pastorale. Il s'agissait des poèmes que les vachers chantaient le soir en ramenant leurs animaux du pâturage ou à l'occasion des concours et dans lesquels ils louaient la beauté, la force et la puissance de leurs vaches.

Cette poésie est aujourd'hui tombée en désuétude et seuls quelques vieux vachers la chantent encore. On organise encore des soirées spéciales à la radio avec des hommes qui chantent et les vaches qui leur répondent. On peut également en écouter lors de manifestations culturelles ou de cérémonies nationales.


L'Agrishow

            L'Agrishow est une manifestation organisée depuis deux ans par le gouvernement rwandais sur le modèle des salons de l'agriculture européens. C'est l'occasion à la fois pour les éleveurs d'exposer leurs meilleures bêtes et pour les autorités d'expliquer aux éleveurs les possibilités de modernisation. Lors de cet événement, on trouve de nombreux animaux (ânes, chèvres, porcs,…) mais c'est toujours devant les stands bovins que les visiteurs se pressent le plus.

            A l'occasion de l'Agrishow de 2004, on avait organisé la reconstitution de chants de cérémonie du Rwanda ancien (kubiukurotsa). Lorsque le président Paul Kagame a visité le salon, il s'est arrêté quelques minutes devant chaque stand pour féliciter les agriculteurs ; parvenu au stand de la poésie pastorale, il s'est arrêté pour écouter. Cela a duré plusieurs minutes, puis un quart d'heure, et finalement le président a passé une heure entière à écouter la poésie pastorale.


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